J’ai toujours été très cartésien·e. J’ai toujours apprécié et favorisé des analyses scientifiques et matérialistes du monde. Je n’ai jamais vraiment cru à quoi que ce soit de divin, de mystique, de superstitieux. Aussi, de voir les étoiles était un sujet qui m’importait peu dans la vie.
Pour autant, la vie en ville me déprime. Je suis dans un monde d’inconnu·es qui m’ignorent, pour qui ma vie ne compte pas. Je nous vois constamment manquer de respect à tout ce qui est vivant. Enfin, pour le peu qu’il en reste. Le béton et le bitume sont partout, rien ne pousse, rien ne grandit. Seuls restent quelques pigeons, quelques rats et quelques humains qui ont manqué de chance. Né·es au mauvais endroit, au mauvais moment, avec le mauvais corps. Et on ne peux rien y faire, à part y sacrifier notre propre vie pour aider tout ce qu’on peut, pendant que le système se nourrit de nous, nous détruit, s’enrichit. Il n’y a pas moyen d’y échapper. La thune qu’on gagne, celle qu’on dépense, tout finit dans sa poche.
La vie y est une succession de prisons : de la famille à l’école à la fac au travail au marriage au travail au travail au travail au travail au travail à la mort. On est enfermé dans la norme, dans la suractivité humaine, dans la surveillance généralisée, dans la cellule de garde à vue quand on essaie d’y échapper. Pas un instant sans que mon regard ne soit traversé de milles incitations à la consommation, que mon ouïe ne soit percée de milles cacophonies m’attirant à l’isolement, que mon goût ne soit brûlé de sucre et d’addictifs artificiels, que mon toucher ne perçoive le contact humain que comme choc et bousculade, que mon odorat ne fasse le lien entre d’égoût et pauvreté, parfum et richesse. La ville m’est hostile, dans ces grandes institutions comme ces molécules isolés.
Et quand on regarde le ciel la nuit, si on ne se fait pas aveugler par la lumière qui règne partout constamment, et si on l’aperçoit entre les tours et grues qui partout nous bloque la vue, alors on contemplera presque systématiquement cette brume grise, légèrement orangée sur les bords par cette autre pollution, qui sort d’on ne sait quelle industrie. Il n’y a rien à y voir alors on ne s’y attarde pas, et si on le faisait, on serait rapidement une gêne pour quelqu’un, à stagner sur un trottoir dans un monde qui n’a pas ce temps. Et ce serait tout ce qu’il y aurait à savoir sur le ciel.
Sauf qu’il existe l’Utopie. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est peut-être ça qui lui donne du charme. Le temps s’y écoule aussi, bien sûr, mais dans un bien autre ordre de grandeur. Disons que la vie n’y ai pas bercé au son minutieux de l’horloge. On pourrait s’y perdre, croire y rester quelques mois alors qu’en réalité 50 ans se sont écoulés. S’il faut bien faire des activités pour y vivre, celles-ci sont meilleures pour la santé que de fixer des pixels toute la journée pour respirer les pots d’échappements entre deux. Il n’y a pas trop à y faire, ce qui repose l’esprit, lui donne ce dont il avait besoin : l’ennui. Celui qui pousse à découvrir un loisir, un univers, une personne.
Dans l’Utopie, je ne paye pas de loyer, je n’ai pas d’acte de propriété. Pourtant ma maison m’appartient plus qu’ailleurs. Je peux m’y organiser, y peindre ce que je veux sur les murs. A vrai dire, je l’ai construite, ou alors j’ai aidé à construire celle d’ami·es qui avait bâti la mienne auparavant. Sans les apprécier toustes, au moins je connais toustes mes voisin·es. Et nous sommes important·es l’un·e pour l’autre. Nous sommes une communauté, un ensemble qui dépasse la somme des individualités. Bien sûr, nous alimentons toujours le Léviathan qui tourne à côté. Mais à force de s’autonomiser, on espère le remplacer par l’Utopie. Et on utilisera le feu si nécessaire.
En me levant dans l’Utopie, je n’ai pas à aller loin. Et pourtant je choisi le chemin de mon choix, pas toujours le plus court mais celui qui me plaît. Sur celui-ci, pas de panneaux publicitaires, pas de caméras, pas d’atroce absurdité capitaliste. Le vivant y règne, plus ou moins en accord avec ma présence. On s’y côtoie tout du moins, on est voisin. Je le nourris, je m’en nourris, j’ai tout intérêt à ce qu’il aille aussi bien que moi. Je sais ce que je fais, je choisi de le faire, conscient·e d’à quoi ça sert et de pourquoi je le fais. Je me garde la place de faire bouger ce monde, pour qu’éclosent des Utopies partout dans le monde, différentes de la mienne et en même temps similaires. Puis je rejoins ce qui me fait office de famille mieux que l’originale. Avant d’aller me coucher sans avoir plus peur des insomnies.
Et quand on regarde le ciel la nuit, on peut presque toujours y voir les étoiles. En tout cas infiniment plus que ce qui se révèle parfois entre la cimes des immeubles. Je peux prendre le temps de l’observer, je peux prendre l’espace. Et ce dernier est traversé d’étoiles filantes, devenant plus actif que moi. Cela me rappelle mon enfance, mon passé. Cela m’appelle comme mon futur.
Mon Utopie n’est pas parfaite, ce n’en est même pas une puisqu’elle existe. Mais avant elle, je n’ai pas réalisé quelle pouvait être l’importance de voir les étoiles.