Bon déjà, la prison c’est un truc horrible de base. On va pas développer un pamphlet ici, mais c’est un sujet bien documenté chez les anarchistes. Notamment parce que beaucoup y passent, et ce que les matons porte une svastika, une drapeau tricolore ou le duo marteau-faucille
.
Bref, c’est un outil de contrôle social qui n’améliore aucunement la situation de celleux qui y passent et qui augmente les inégalités déjà existantes. C’est pourquoi on y retrouve majoritairement des personnes pauvres et racisées. On y enferme dans un contexte volontairement ultra-violent pour détruire psychologiquement et physiquement les potentiels ennemis de l’État. De nombreuses personnes s’y suicident, et celleux qui en sortent sont brisés socialement et économiquement, de sorte qu’iels (re)tombent dans des modes de vies plus précaires.
Les personnes queer n’échappent à rien de ce qui se fait de pire derrière les barreaux. Et iels sont celleux pour qui le quotidien risque d’être le plus dur.
La sexualité, même hétéro ou n’importe laquelle qui soit commune, est taboue. On en parle pas, ça n’existe plus. Dans cette pensée absurde de la punition, le prisonnier ne doit pas baiser. Rien n’est formellement interdit, pour éviter la levée de bouclier des associations certainement, pour que ça reste comme un « oubli » administratif. Par contre, l’obscénité publique est bien réprimandée, laissant une atmosphère de surveillance constante à la 1984 dans cette micro-société dystopique qui tourne à plein régime sans qu’on ne le voit de l’extérieur. On se croirait dans un couvent, ou alors dans une colonie
de vacances, filles et garçons séparés, où les ados doivent se cacher des adultes pour se pécho.
Infantilisés à mort, beaucoup se contentent de masturbation. Entre la solitude, l’ennui, le stress, le reste, ça devient un rituel rassurant pour se vider la tête. Surtout que c’est pas facile de dormir en prison, entre la peur, les bruits, les chambres surchargées, l’inconfort et le rythme de vie forcée, c’est une aide bienvenue. Drogue naturelle plutôt qu’une autre plus nocive. Il n’empêche que ça devient autant une addiction. Et quand la répétition se fait quotidiennement depuis 5, 10 ans, c’est impossible de s’en défaire, même bien après, même avec quelqu’un. La prison détruit littéralement à long terme la sexualité, et une part de la vie sociale, de toustes celleux qui y passent. Pire quand l’administration contrôle le contenu pornographique consommé, tenant en laisse cette armada de frustrés sexuels qu’ils ont créés. Et effaçant toute possibilités de déviance à son bon vouloir. L’imagination y meure autant que le reste.
Les couples aussi d’ailleurs. Une bonne partie d’entre eux en tout cas ne survivent pas les premières années de détention. Ne parlons même pas des constellations de relations affectives et romantiques moins proches qui s’évanouissent instantanément. Et là commence les difficultés pour les anormaux que nous sommes. Dans un milieu où règne les tabous, les rumeurs vont d’autant plus vite. Alors la visite sous surveillance, des matons comme des autres taulards, d’un·e amant du même sexe ou à l’apparence de genre non conventionnelle semble moins attrayante, sous peine d’être out et d’encourir le Risque. Tout du moins les interactions seront encore moins intimes que le peu qu’elles peuvent l’être.
Et après ne reste que le manque. De la personne, de nos discussions, de nos interactions, de nos contacts, de nos corps enlacés, de nos désirs partagés. Le manque. Profond. Même si on avait « personne » avant. Une population, qui n’avait pas forcément une conception très haute du consentement et de la communication ; nous vivons dans une société où domine le patriarcat dans tous ses affres après tout ; mais désormais carencé au plus au point d’empathie… Qu’est-ce qu’il pourrait mal se passer ?
Celleux qui sentent le plus le Risque à ce niveau sont les cibles potentielles. Les déviants, handicapés, fols, pédés, trans, minorités raciales (qui ne sont pas tout à fait les mêmes qu’à l’extérieur mais un peu quand même). Encore que les comportements ne soient pas représentatifs de l’attirance ou de quoi que ce soit d’autre. La prison est un vase clos, un circuit fermé dont on ne contrôle rien. Pas même sa sexualité. Quand le manque se fait cruel, et il se fait, on aspire juste à y remédier. Quitte à bafouer nos valeurs, notre respect de nous-même. Et avec un « autre soi », c’est à dire quelqu’un qui partage un destin tellement similaire au notre qu’on ne le différencie plus très bien de nous même.
Dans ces brisures de l’identité, on échange une caresse, une étreinte, parfois pas plus, parfois on s’offre un plaisir à soi-même. Dans ces conditions, homo et hétéro ne sont plus des termes qui valent quelque chose. Bien pire qu’un prétendu lobby LGBT, c’est bien l’État qui impose une sexualité aux individus. Et ils le savent très bien, ils s’en sentent humiliés, détruit dans leur individualité. Et nous avons la haine pour cela, et pour le reste. Tout le reste.
La prison fait subir à toutes ses victimes, sans distinction, une part de l’ oppression habituellement réservée aux queers. Le pouvoir sur le quotidien, sur cultures, sur les corps, est une démonstration de puissance, une mise au pas de celleux qui se sont cru plus malins. Il s’agit de faire en sorte que les personnes n’en soient plus vraiment, réduits à l’impuissance. La prétendue réinsertion est un mensonge orchestré, un échec parfaitement conscient. On enferme pas pour rééduquer. On enferme les plus marginaux, les plus propices à se révolter, pour les détruire, ou à les rendre destructeur pour les ghettos où on les renvoie, criminels et déconnecté de tout et tout le monde.
La prison est une école du crime, une éducation accélérée du capitalisme et de son violent état de nature.
C’est l’inverse de l’anarchisme, la hiérarchisation absolue. Le tout exacerbant les dominations existant à l’extérieur. Car ce qui précédait était ce qui s’appliquait comme généralité à toustes. Les dynamiques de pouvoir internes sont d’autant plus violentes qu’elles découlent de cet état d’oppression et d’humiliation généralisée. Elles sont plus connues aussi, car auto-justifiante pour l’État à l’enfermement des « éléments dangereux ».
Voilà que vient le Risque craint. L’homosexuel reste en prison une étiquette figée, une fois révélée publiquement, qu’il y ai une quelconque réalité derrière ou non. Et bien plus fortement qu’ailleurs puisque tout y est bon pour justifier sa dominance sur l’autre. Tous les détenus étant déshumanisés par l’ascendance des porcs sur eux, ils espèrent recouvrir une part d’humanité en se plaçant au-dessus des autres. Et si l’argent compte moins ici qu’ailleurs, les plus riches trouvant d’ailleurs toujours moyen d’éviter la taule (coucou sarko), la violence physique reprend de l’importance. Et la domination masculine à laquelle la part majoritaire des prisonniers est habituée retrouve des échos dans une domination sexuelle. L’homosexuel, accusé d’avoir des rapports sexuels sans contrainte, suscite la jalousie. Dans un schéma hiérarchique simplifié, il est vu comme le pédophile, une victime de choix qu’il faut punir à son tour. Les coups de matraques des condés donnent l’élan au poing des condamnés. De même pour la violence sexuelle, peut-être moins courante que dans nos représentations culturelles, mais toujours bien plus présente que dans la vie courante, alors qu’il ne devrait pas y en avoir non plus à ce niveau là.
Pour conserver une place élevée, dans les bas-fonds dans lesquels on est maintenu, la masculinité est surjouée, pour être le plus viril dans un milieu uniquement composé d’homme. Il n’y a pas autant de femme à dominer. Il y a alors cette possibilité d’avoir une relation avec un homme, tout en restant perçu comme hétérosexuel. A condition de le faire de la manière la plus dominatrice possible : être actif bien sûr et le plus violent possible. Là s’instaure un rapport de domination qui va même pouvoir lui être profitable. Le violé est désigné comme tel, destiné à le redevenir. Il a besoin de protection. Des échanges par l’exploitation sexuelle peuvent voir le jour. Des fois pour obtenir des denrées plus rares derrière ces murs, tabac ou autre drogue.
Et ça sans prendre en considération les problématiques à tous les niveaux, moqueries, insultes, harcèlements, violences multiples. De la part des co-détenus mais aussi bien souvent des surveillants. Il est évident que ces privilèges de pouvoir n’allaient pas leur échapper, en dehors de tous les autres qu’ils s’accordent. Et pour s’en plaindre, mission impossible. D’un côté, le Risque d’être pris pour une balance et de se faire taillader les joues au rasoir. De l’autre, un mur administratif compact qui n’a que faire de la parole d’un prisonnier face à un maton.
A ces difficultés peuvent encore s’ajouter celles autour de la transidentité. En France, les personnes trans sont enfermées suivant leur genre assigné à la naissance. Souvent tue, beaucoup de personnes arrêtent leur traitement hormonal si elles en ont un. On ne leur laisse pas souvent le choix, alors que les administrations ne reconnaissent parfois pas leur condition. Les personnes transféminines se masculinisent pour survivre, résultat similaire aux thérapies de conversion. Pour celleux qui sont plus avancés dans des changements physique, la meilleure option est de rentrer le moins possible en contact avec les autres.
Et tout le reste est compliqué. L’institution pénitentiaire repose tellement sur la binarité de genre, rien n’est adapté. Ou plutôt, tout est fait pour la normalisation et la destruction de l’individu. La multiplicité des existences, des corps, y est impossible. Alors soit on met à l’isolement continu les queer pour les protéger, soit on les réunit dans des quartiers spécialisés, pour les « protéger » des conditions horribles qu’on a créé. Au final, c’est une expérience encore plus détériorée de la prison, entre être pris pour cible prioritaire ou ne pas avoir accès au peu qu’on nous laisse. Ce qui n’empêche pas d’être harcelé, notamment sexuellement par les gardiens. Les fouilles et cie étant notamment effectuées par des personnes du genre de naissance. Les femmes trans et personnes transféminines sont assurément les moins bien lotis, subissant de plein fouet cette frustration de domination masculine. Quand à recevoir des soins, voir des endocrinologues, c’est une galère sans nom. Les médecins et psys affectaient ne respectaient pas plus les identités de genre, puisque la patientèle n’a pas le choix. Et bien sûr, le corps reste contrôlé, l’apparence possible soumise au bon vouloir du groupe enfermant.
Alors oui, qu’il s’agisse d’un camp de tri pour la déportation de personne sans-papiers, d’un asile, d’un zoo, d’une école, d’un pénitencier, il nous faut brûler toutes les prisons.
Nous n’en voulons pas des meilleures, pas des plus inclusives, pas des plus grandes, nous n’en voulons plus du tout.
Charbon Noir
(A partir de la lecture de ces textes :
https://tpgaf.herbesfolles.org/Brochures/femmes_trans_en_prison-40p-A4-fil.pdf
https://oip.org/analyse/femmes-trans-en-prison-ostracisees-et-discriminees/
https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue69/20130407.RUE5397/sexualite-en-prison-on-les-reduit-a-des-betes-puis-on-les-lache.html
https://www.vice.com/fr/article/la-vie-dun-homosexuel-en-prison-818/
https://oip.org/analyse/sexe-en-prison-le-plaisir-empeche/
https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/050216/etre-homo-au-placard)
Depuis l’extérieur, il existe plusieurs moyens de se solidariser avec celles et ceux subissant l’enfermement :
– En soutenant les luttes carcérales menée par les prisonniers et prisonnières en portant leurs revendications vers le monde extérieur, en servant de caisse de résonance à ces mouvements.
– En s’opposant à la logique même de la justice autoritaire et carcérale dans notre quotidien. En bloquant et sabotant le bon déroulement des mécanismes et institutions judiciaires mais aussi en pensant, imaginant et développant d’autres manières de procéder en cas de conflits que celles de la justice d’État.
– En brisant l’isolement dans lequel sont confiné-e-s les prisonniers et prisonnières à l’aide de visites et de lettres par exemple. L’isolement carcéral est l’un des aspects les plus violent de la prison. Isolement face à l’environnement social passé, face au monde qui continue à évoluer à l’extérieur et face aux liens sociaux qui sont sources de renouvellement, de partage, de création, d’imaginaire, etc.
