Depuis le lycée, le terme que j’ai utilisé le plus pour décrire ma sexualité a été et est encore asexuel·le. Au tout début, genre dès la sixième au collège, je me pensais bisexuel·le sans le dire vraiment à personne. Parce que c’est le premier terme sur lequel on tombe quand on se pose la question d’aimer également les gens « des deux genres ». J’avais essayé d’avoir des relations amoureuses avec des filles, sexuelles avec des garçons, puis l’inverse ou un mélange des deux. Je me posais des tas de questions bien sûr, dont les réponses dans un système logique binaire ne me convenait pas. Parce que ça marchait pas avec les gens assignés de l’autre genre, j’étais forcément gay ? Mais je ne ressentais pas plus de ce bord là non plus. Et j’ai fini par comprendre que si j’avais un intérêt égal pour les personnes peu importe leur genre, c’était en fait un manque d’intérêt général.
Il faut décrire la grosse pression sexuelle mise sur celleux considérés comme mecs. Difficilement comparable à la socialisation féminine qui est plus subtile, c’est l’autre versant du patriarcat, bien bourrin dans la moquerie perpétuelle et avec des règles strictes et simples. T’aimes pas les meufs ? => gay. Tu baises pas ? => puceau. T’as pas envie ? => non seulement t’es PD qui s’assume pas, mais t’es bizarre. Maintenant les possibilités sont un peu plus ouvertes mais le caractère excluant du monde masculin est toujours bien vivant. En tout cas, pour mes premières relations sexuelles, il est assez évident que je l’ai fait plus pour avoir quelque chose à raconter aux potes que par envie. Et malgré ça, je restais une sorte d’icône gay au lycée (ça commençait à être plus ou moins accepté pour le coup, surtout quand on ne l’étais pas trop visiblement).
Du coup, j’ai commencé à porter un peu cette étiquette d’asexuel·le. Pas toujours ouvertement, pas toujours d’une bonne manière. J’étais un sacré intello en filière scientifique, et du coup je cherchais absolument à rationaliser le truc. J’ai dénigré celleux qui s’intéressaient à l’amour, comme si c’était quelque chose d’inférieur à la réflexion et le savoir (j’étais alors loin d’être anarchiste, les hiérarchies ça me paraissait naturelle). Et je trouvais beaucoup d’écho dans les idoles aux égos surgonflés de la philosophie et des sciences en tout genre. Du même coup, je me refusais à ressentir la moindre émotion, préoccupation trop « basse » qui me détournerait des vrais choses.
Bon, c’était complètement con. J’ai aggravé mes moments de détresse psychologique en refusant d’exprimer quoi que ce soit de personnel, jusqu’à un point vraiment dangereux. Mais je l’avais pas encore capté comme ça. Ayant frôlé la mort, je découvre le principe de « couple libre » et multiplie relations amoureuses et sexuelles dans tous les sens. J’ai l’impression qu’il faut que je retrouve de l’intérêt à la vie. Et si le sexe plaît à autant de gens, ça devrait aussi être la cas pour moi hein ? Mais rien n’y faisait vraiment. J’essayais pleins de choses, de plus en plus particulière, plus queer aussi. Sexe anal, plusieurs partenaires, un peu de BDSM, dominant, dominé·e, de tous les genres… Bien sûr, je passais parfois des bons moments. Ça reste des moments intimes avec des gentes que souvent j’appréciais, avec des sensations plus ou moins agréables. Mais bien souvent ça finissait soit par une crise de larmes, soit par un dégoût profond à posteriori qui ne me lâchait pas. De manière générale, ça ne m’exitais pas. J’avais des préférences certainement, j’ai écumé les sites porno à la recherche de ce qui pouvait me plaire. J’étais bien au courant de la multiplicité des pratiques, des possibilités, perdu entre le furry, jeux de rôles ou de violences, surfant sur les contenus hétéros, lesbiens, gays, le tout terni gravement par les affres de l’industrie pornographique. J’ai bien une obsession pour les corps hors-normes, pour les personnes queer, mais ça tient sûrement plus du fait que je sois moi-même trans.
La place du trauma n’est pas à négliger dans mon asexualité. J’ai vécu de l’inceste quand j’étais ado, un viol et les multiples agressions sexuelles communes dans un monde où personne ne se pose franchement la question du consentement. Il ne faut pas généraliser mon cas, ni aucun autre d’ailleurs. Certain·es personnes ace n’ont jamais eu de relations sexuelles, n’ont jamais eu de traumas. D’autres peuvent en avoir sans problème mais ne s’y intéressent juste pas. Il y en a qui sont aromantiques, mais aussi des qui sont pédé·es, gouin·es. Et ça, je l’ai découvert en allant à un café aro-ace au Centre LGBTQIF+ J’en Suis J’y Reste à Lille, ou en sortant/calinant/discutant/couchant avec d’autres personnes aro/ace.
Quant à moi, j’aime pas particulièrement me définir par des termes spécifiques. J’ai l’impression que je suis fluide dans la zone grise autour de l’asexualité, avec des périodes de désintérêt profond alternant avec des moments rares de curiosité. Des fois c’est plus entremêlés au quotidien. En tout cas, j’ai l’impression que la sexualité est moins structurante dans mon quotidien. Pour autant, et ça je le comprends que depuis récemment, y a pleins d’autres trucs qui sont en liens que j’ai négligé « parce que j’en aurais pas besoin », en me disant que j’avais juste à pas avoir de relation. Mais en fait, on va dire que les trucs qui relèvent du sexo-affectif, y en a besoin pour pleins d’autres trucs. Genre comprendre le consentement, c’est une nécessité dans tous les domaines. Et pis, en fait, j’ai besoin de cadres qui parle de sexualité. Pour comprendre mes envies mais aussi mes non-envies. Parce c’est lié à pleins d’autres trucs, à mon genre, à nos oppressions, à la société tout ça… Les occasions d’en parler sont rares, en dehors des discussions informelles où je me sens mal à l’aise. J’ai pu trouver des cadres formels, queer et libre, à Bure ou après des créneaux d’EPINES de RESIST à Lille. Faites-en plus svp, c’est cool et nécessaire <3.
Voilà donc qui amène la raison du titre étrange de cet article. Parce que la discussion c’est quelque chose de bien, mais parfois insuffisant. J’avais des envies inexprimables, rien de bien immoral je crois, mais qui avait besoin d’entrelacement de corps plutôt que celui des mots. Il a fallu un cadre bien particulier pour avancer dessus. A Lille, le collectif des Plantes Grimpantes organise, de manière ponctuelle et très espacée, des soirées de cruising en non-mixité queer. J’y suis allé·e plusieurs fois, avec des partenaires et leurs partenaires, ou des ami·es, qui en fait sont parfois les mêmes personnes. Bref, le cadre bien annoncé d’une orgie organisée et militante, avec des gens d’un milieu que je commençais à connaître, ça me mettait à l’aise. D’ailleurs, j’ai découvert que d’autres personnes asexuel·les y venaient. Je savais qu’il n’y avait pas de sous-entendu que je ne serais pas capable de percevoir : les gens sont ici pour du sexe, et ils en parlent ouvertement. Les corps sont dénudés, mais on demande clairement avant de faire quoi que ce soit. J’y ai appris avec des inconnu·es ou avec des connaissances plus ou moins proche, comment exprimer son consentement, avec son corps quand je n’arrivais pas à le dire avec des mots. Je garde un bon souvenir d’un atelier dans le noir ou de jeux dans le jacuzzi.
Un exemple plus marquant, c’est que les traumas m’avaient laissés un rejet des pénis, des corps qui en comportaient, le mien y compris. Et je voulais passer par-dessus, pour apaiser mon esprit et pour approfondir la compréhension de ma sexualité en diminuant son effet. Donc avec des gentes que je rencontrais pour la première fois, qui me donnait une bonne impression, je prenais le temps de discuter, d’exposer ce que j’avais envie de faire, d’en discuter avec eux en fonction de leurs envies. La présence des Sirènes, bénévoles des Plantes Grimpantes, était rassurante, accessible. J’ai pu expérimenter, dépasser des blocages que je n’aurais pas osé dans d’autres cadres.
Bien sûr, ce cadre a des limites. En fonction des gens, du lieu, même les règles, cela ne peut pas convenir à tout le monde. Le manque d’intimité qu’on peut connaître dans une chambre me faisait peur, mais ne m’a finalement posé aucun problème. Pour les autres, j’imagine qu’on a plus d’intérêt à multiplier les possibilités qu’à en chercher une parfaite. Et si je ne participerais pas à toute, et rarement même à celle que j’apprécie, sachez que vous avez le soutien d’asexuel·les ! Bonne baise à tous !