La vie à la campagne est plus douce paraît-il. C’est vrai qu’une fois le travail du jour fini, ou quand il est impossible de le continuer aujourd’hui à cause de la chaleur, de la pluie ou du manque de luminosité, le repos y est vraiment reposant. Les activités cessent un temps. Et bien qu’on pourrait en faire mille autres, la sagesse de prendre soin de son corps et de son esprit pour continuer demain nous pousse vers le sommier. Et que le sommeil est bon, quand il est résultat de la fatigue, et non de la frustration de ne pas pouvoir faire une nuit blanche de plus !
J’en ai presque honte de l’admettre, avec mon égo qui me prétend une psychologie complexe et un besoin de pensées sophistiquées, quand je me rend compte que je me satisfais d’autant plus de choses simples. L’exercice physique, l’air respirable, les bruits des oiseaux, la nourriture de bonne qualité, les conversations de qualité, tout ce que la Nature nous donne à percevoir…
Une peur persiste, et ce texte est pour me convaincre qu’elle est vaine : l’autarcie. J’ai peur de me plaire trop dans ce milieu, de m’y complaire à outrance, de m’en contenter et d’oublier ces grands idéaux, ces grands combats pour lesquels je me donnais corps et âme en ville. J’ai peur de me rendre compte dans 10-15 ans que ça fait des années que je n’ai pas fait une manif, pas fait une AG, pas eu peur de la police. D’être devenu un·e paysan·ne lambda, emporté dans ces petits tracas d’un nouveau quotidien, qui peut être terrifiant lui aussi, mais enfermé sur lui-même, oubliant le reste du monde et ses enjeux.
Mais je n’y crois pas. Outre que mon nouveau chez moi est on ne peut plus engagé, de bien des manières c’est peu dire, il s’agit simplement que j’existe et que j’appartiens à ce cadre de vie interdépendant du monde bien vivant. Aussi, depuis maintenant une bonne semaine, alors qu’on ne peut qu’admirer les magnifiques couchers de Soleil d’une vue sans immeuble, la vallée se trouve couverte d’une brume à l’odeur de cramé. La rumeur du coin, qui s’avère coïncider avec les infos d’internet pour une fois, dit qu’il s’agit des retombées des feux de forêts du Canada. Et si je ne peux m’empêcher de pester quand il y a des moustiques, force est de constater que les pare-brises des voitures restent, certes sales, mais de poussières uniquement, même en roulant dans les hautes herbes. La voix du grand philosophe Joey Glüten résonne dans mes oreilles d’un doucereux « MAIS ILS SONT OU LES INSECTES ? ». Les planning de récoltes se décalent au fur et à mesure des canicules. L’eau de source que je bois doit être filtrée de ces pesticides. Tout ce qu’on consomme de l’extérieur continue de devenir plus cher. Les journaux, tous, de droite comme de gauche, qui sont arrivés par la poste il y a quelques jours, étalent un panorama d’explosions d’obus au Moyen-Orient, laissant planer les idées de guerre nucléaire dans l’air (remarquez comment ce commentaire isolé est difficile à dater dans le temps). Et enfin les gens parlent, de tout et de rien, mais notamment de choses inquiétantes à des distances qui ne devraient pas nous inquiéter si le pouvoir dans toutes ces formes n’avaient pas pris de telles proportions.
Alors je ne m’en fais pas de perdre mon ardeur militante. On a besoin de moi ici comme d’ailleurs, si ce n’est plus. Mais surtout moi j’ai besoin d’être ici, de refuser de parvenir avec mon ex-quotidien destructeur pour tenter de vivre en accord avec mes valeurs. Ma rage ne s’y éteindra pas, bien au contraire je l’espère. Peut-être même qu’elle y trouvera le bois pour s’y épanouir, plutôt que de s’épuiser sur le bitume de la ville. Je suis assez en contact avec le monde pour le comprendre et le souffrir, si ce n’est que j’en reprend tout du moins le contrôle sur une partie de ma vie. Ce repos militant est ce qu’il me faut. Un espace pour prend de l’élan plutôt que de rester dans l’instabilité et le risque de tomber dans un précipice de désespoir et d’isolement. Nous sommes quelque chose.
19/06/2025
Destro