Contre la culture / Pour les contre-cultures

L’autre jour, y avait un exposé dans ma classe. C’était une pote qui le faisait, donc j’ai au moins essayé d’écouter un peu. C’était sur le male gaze (les représentations genrées clichés) au cinéma et dans la culture en général. Et surtout sur les idées d’alternatives comme le female gaze ou queer gaze. Comme quoi, on parle de sujets intéressants même en philosophie de l’art, je ne dis pas le contraire. Bref, super powerpoint, l’exposé tout ça, je capte à peu près la moitié. En vrai, ça retient un peu mon attention, surtout parce que j’ai envie de faire chier le monde avec mes questions hors-sujet. Du coup, j’attends que celleux qui veulent des précisions sur ce qui a été dit finissent ; certains bougs occupant tout l’espace quand on parle de féminisme, encore lol ; et j’ouvre le sujet. D’accord, changer les images pour changer la réalité à posteriori, mais est-ce que ça marche vraiment comme ça ?

On me reproche peut-être de pousser un agenda politique en classe ou jsp quoi. Et oui, je veux ouvrir des espaces de discussions en classe, et j’ai des idées que j’aimerais partager, et connaître celles des autres. Mais souvent, je n’ai pas l’impression d’avoir un savoir dogmatique que je cherche à copier-coller, je doute beaucoup et je me pose sincèrement les questions. Et là, ma pote et d’autres étudiant·es avaient l’air de réfléchir au même niveau que moi. Et pas avec un examen en arrière pensée ou d’autre intérêt que la compréhension du monde. C’est ça faire de la philo bordel ! Oui mais, c’est pas trop du goût de la prof qui voit juste qu’on s’intéresse pas à son sujet comme elle veut, et qui essaie de recentrer. Bon, ça me vener un peu parce que c’est la même chose depuis 19 ans que je suis dans l’éducation nationale, qu’on nous dit d’attendre de savoir plus et de parler moins. Je retente avant d’en rester là, encore.

Bref, j’avais oublié un peu le débat, préoccupé·e par d’autres choses. Mais y a quelque jours, j’ai voulu regarder le film « Skin », une biographie-fiction sur un mec qu’avait été skinhead. J’avais vu des extraits sur Insta, et j’étais malade, je cherchais un truc à regarder. J’ai tourné sur les sites de streaming pas nets habituels (genre ww25.soap2day.day =3). Pas de bol, tous les liens étaient foireux et menaient à un court métrage du même nom. Je l’ai regardé quand même, mais c’était pas assez long. En cherchant un autre truc, je suis tombé sur le film « Asking for it ». La bio vendait du rêve :

« In this 2022 film directed by Eamon O’Rourke, a young woman named Joey, played by Vanessa Hudgens, finds herself entangled in a vigilante group of women who seek justice against a society that has wronged them. The narrative delves into themes of empowerment and retribution, offering a gritty and intense portrayal of their fight against systemic abuse. »

Mais dès l’intro, le blaze « Ezra Miller » me fait tiquer. Bizarre, je connais jamais les acteurs. Sauf quand ils se font cancel paradoxalement mdr. J’imagine qu’en tant que icône queer et «  » » »engagé·e » » » », ça lui pose pas de problème de jouer un gros mascu d’extrême droite, rien à voir avec sa vie. Sauf que derrière les écrans, cet·te enfoiré·e a un casier judiciaire plus long que le mien, et plutôt pour des violences sur des meufs et de l’emprise sur mineur que d’avoir tagué la préfecture. Bref, il a l’air super le film, bien female/queer gaze et tout, mais faut sortir du brouillard culturel parce que MATÉRIELLEMENT, ça appuie plus le patriarcat que ça ne le combat j’crois bien.

Bon, je regarde quand même le film. Il est bien divertissant (et c’est pas qu’un compliment). Intrigue amoureuse, scène de bagarre, grosse teuf, embrouilles, méchants manichéens, morts dramatiques, la même recette qui marche. Là-dessus, on saupoudre de tout ce qui satisfait le public actuel. Ce film particulièrement a un joli palmarès, ils sortent tout l’inventaire « woke ». Les persos principales sont des meufs racisées, ça parle de violence sexuelle, de masculinité toxique, y a des lesbiennes, un drag king, une handie, des indigènes… Et c’est vrai que c’est difficile de dire que ça fait pas un peu plaisir d’avoir ce genre de représentation (encore que là c’était un peu cliché et abusé). C’est cool, mais est-ce que ça change vraiment quelque chose ? Le débat revient.

Ce que j’en pense actuellement, c’est que non. Plutôt le contraire même. On perd notre temps et notre énergie a essayer de faire progresser un système qui va à reculons. Et je parle de la culture en général, « Asking for it » n’est qu’un exemple. Un bon quand même, parce qu’en se prétendant féministe radical et en mettant en avant cette merde d’Ezra Miller, ça crée un paradoxe très visible. Ça illustre le gouffre entre le fond et la forme. Mais c’est pas le seul aspect, sinon faire la chasse au violeur (à posteriori hein, donc pas très efficace) suffirait à régler cet angle. Mais non, parce que la forme n’y est pas. L’industrie cinématographique est foutue entièrement. Création d’idôle, exploitation des travailleurs, autoritarisme capitaliste, jeu de pouvoir avec les États, fabrication du consentement… il n’y a rien à y sauver, donc rien à y tenter de changer. Le grand cinéma est un outil de propagande par essence, il n’est pas concevable de l’utiliser raisonnablement. Parce que nous ne pouvons pas y lutter contre l’idéologie dominante, il EST l’idéologie dominante. C’est un pouvoir trop fort, qui ne devrait pas exister. SA culture est l’annihilation des cultures d’autrui. Par exemple, ça va vous paraître con hein, mais je voulais regarder un film sur les Black Panthers. J’en connais pas trop, je me dis qu’internet va m’aider. IMPOSSIBLE. Tous les résultats redirigent vers la superproduction américaine de Black Panther, le super héro là. Black Panther sur Netflix, Black Panther au cinéma, critique du film Black Panther, comics Black Panther sur Amazon, tout ce qu’il est possible d’acheter avec l’étiquette Black Panther. Cette représentation de Marvel, non contente de rendre inaccessible des références politiques, en vole les termes et surtout l’idée, transforme l’Histoire en show télévisé. Avec ses intérêts derrières, qui restent capitalistes.

Parce que je fais le constat que nous vivons dans une société du spectacle. Oui, c’est une référence à Guy Debord, non je n’ai pas lu le livre et je ne compte pas le faire. Car le monde universitaire fait partie de cette critique de la culture. Quand je voyais nos ptits profs bien intellos, bien petite bourgeoisie sortir des théories politiques ultra-radicales à des jeunes comme eux, comme moi, au début ça me donner de l’espoir. Mais voir des mecs cishet blancs valides parler tranquillement patriarcat et capitalisme pendant que dans la salle d’à côté, c’était des meufs noires précaires qui faisaient le ménage de NOS salles de classes, j’ai commencé à me dire que y avait un problème. Voir les profs parler de la violence de l’État bien assis derrière leur bureau et même pas être au courant que des brigades de CRS étaient rentré déjà 2 fois cette année sur le campus, dans les couloirs qu’iels prennent tous les matin, ou alors fermer les yeux dessus, ça m’a enragé. Avant, je croyais que la révolution n’était qu’une question de connaissance, qu’une fois qu’on savait un peu le mal que faisait l’État, on ne pouvais que se lever contre. Mais ces paradoxes parmis tant d’autres montrent que non. Bordel, ces gens connaissent des dizaines de nuances de marxismes de plus que moi, pourquoi je les ai jamais vu à une AG, sur un blocage ou même à une putain de cantine ? Globalement, quand une élite technocratique (des « professionels ») centralise un pouvoir (production du capital culturel, du savoir, des lois, de la violence légitime…), j’pense que y a un problème. Non seulement la forme de production est mauvaise, mais la forme de consommation l’est autant. Le résultat, c’est comme avec Black Panther, une idée révolutionnaire ne circule plus que par les méga-productions. Cellui qui a des idées d’insurrections a le même comportement que celleux qui sont bien contents du système, iel reste spectateur, tout au plus pas du même film. Son argent, donc sa force de travail, fini dans les mêmes poches. Et iel brise les rêves de celleux qui essaient de s’en sortir.

On peut voir dans cette analyse une victoire suprême du matérialisme sur l’idéalisme. J’ai du mal à me dire matérialiste, d’une part parce que c’est entendu généralement (et faussement) comme une adhésion totale aux idées de Marx que je réfute partiellement, d’autre part parce que c’est un terme universitaire qui embrouille plus les conversations qu’il ne les éclaire. Mais globalement, j’ai tendance à être d’accord avec ce genre de raisonnement.

Je nuancerais quand même avec l’idée que la culture même classique a une certaine utilité. Mais comme la politique y est égalisée avec tous les autres sujets, on y parvient par un concours de circonstance. Moi-même, je n’ai peut-être commencé à m’intéresser à la politique que parce que c’est devenu un de mes intérêts spécifiques plutôt que le monde médiéval ou l’astronomie. J’aimais les dystopies, sans comprendre les valeurs politiques derrière, voire en les prenant à l’envers. Parce que je les consommais comme un spectacle. Même en insistant, en lisant plus, de la littérature, de la philosophie, de l’histoire, puis des essais politiques, mon rapport à la culture ne changeait pas. Je n’ai pu d’ailleurs le faire que parce que j’avais des privilèges. Je me disais anarchiste parce que j’avais assimilé ce que la culture dominante me permettait d’accéder sur l’anarchisme. Des beaux principes, des analyses économiques, des beaux dessins de A cerclés… Ça peut être beaucoup de choses, tant qu’on reste bien sagement dans le rang, mais surtout pas de pratique. Le capitalisme a cette force d’intégrer en lui les critique, de les assimiler. Pense ce que tu veux tant que tu consommes. Je n’ai commencé à être véritablement anarchiste que quand j’ai commencé à côtoyer des espaces libertaires, à agir en tant que tel. Avant, c’est du bullshit, et ça marche pour tout.

A quoi sert d’améliorer la Culture alors ? Je dirais qu’avec beaucoup de chance, ça peut entraîner des gens à aller vers des pratiques différentes. Mais ça entend une rupture avec la forme d’origine. C’est un passage qui demande beaucoup d’énergie, de renier seul·e la culture dominante. Le truc auquel ça me fait penser, c’est à l’idée d’homme d’initiative de Kropotkine. J’ai pas tout capté du concept, mais c’est une condition particulière où un individu à suffisamment de force pour changer drastiquement les choses autour de lui. Nik bien l’avant-garde cependant, qui bien souvent n’échappe pas à la culture dominante, regroupement d’intellectuels qui vole ses mots et son pouvoir au prolétariat.

Ok, donc c’est la merde. Quoi faire ? Je pense que le cœur de l’idée est de sortir les individus de leur statut de spectateur, les transformer en acteur. Et pour ça, faut couper le jus de la télé, c’est à dire perturber leur train-train quotidien. Mais ça n’est efficace que si on a une alternative viable a proposer, dès maintenant. Ça entend développer des groupes d’entraides et d’actions, des centres autonomes, des quartiers libres, des communes libertaires, des territoires anarchistes. Parce que la culture, ce n’est pas qu’une question d’image dans les musées et sur les écrans. La culture, c’est les savoirs-faire, les connaissances, les coutumes, les traditions (eh oui, pas les mauvaises juste). Alors un cercle de discussion sur les VSS peut avoir beaucoup plus d’impact concret que la pièce WOKE de Virginie Despentes (Fallait pas me laisser rentrer gratuitement dans ce théâtre héhé). En tout cas, s’il faut accorder les moyens aux objectifs, il est certainement plus intéressant de pousser à ce que les gens soient autonomes, réfléchissent par eux-mêmes, produisent par eux-mêmes, se dirigent par eux-mêmes. Et ça, peut importe les idées, le fond, c’est de la contre-culture !

Ça veut dire que oui, on peut dessiner des bonhommes bâton moches qui jouent à la pétanque, si c’est fait à la shlag, localement et sur un bout de papier de récup, ça sera sûrement mieux que le film le plus révolutionnaire jamais vu qui a coûté et surtout rapporté des millions à des gens qui n’en ont pas besoin. Bien sûr, y a des gens qui vont faire de la merde. Mais c’est parce qu’on a conscience de ça qu’on doit se retirer le pouvoir d’impacter culturellement une société. Parce que des bouses comme le film Athéna marquent toute une génération de ses clichés de mort, des centaines de milliers de personnes qui se polarisent sans jamais n’avoir vécu dans le monde réel. Les contre-cultures, mêmes masculinistes ou autres conneries, sont plus saines que la sainte Culture de la perfection, unique et mondialisée (bientôt soutenue ardemment par l’IA!). Disons qu’au moins, on peut discuter facilement avec une production à petite échelle, horizontale. Et au pire on les pull up. C’est plus facile de saboter une imprimerie fascisante que de s’attaquer à l’Empire Capitaliste dans sa globalité, surtout si on l’a enrichi de nos critiques.

Prenons cette phrase de mort de Nietzsche, que seuls des mecs sans problèmes matériels semblent kiffer en passant : ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Le capitalisme ne va pas disparaître parce que progressivement, la culture y changerait. En produisant avec lui, en son sein, plus de choses même « subversives » ou « pertinentes », on ne fait que l’élargir. Avant, c’était facile de dire que le cinéma c’était de la merde. Oui, bah y a pas de meufs dans vos films, ils sont ultra-racistes, homophobes, de droite et tout le train-train. Sauf que maintenant, des gens qui ont voulu bien faire ont permis des représentations trop stylées dedans, des discours ultra badass révolutionnaire. Avant, ces mots appartenaient à celleux qui en avaient besoin, pas à l’industrie de la culture. On ne veut pas de street-art sponsorisé par la ville, de Pride sponsorisé par les entreprises, de publicités contre le racisme faites par la police. C’est de l’assimilation. Ca ne change pas les rapports de force derrière, ça les dissimule, rend aveugle les gens sur la forme et le fond de ce à quoi iels participent.

BREF, on se perd un peu, comme d’hab. Mais n’essayons pas de rendre meilleure une compote de pommes pourries. Changeons d’ingrédients, et de recette même. Faisons les choses nous-mêmes, intéressons-nous à ce que font les autres. Pas ces supers stars qu’on ne connaîtra jamais, mais les groupes de musiques locaux, les artistes peintres du quartier, les potes avec une caméra ou celleux-là avec une imprimante. Le tout doit se faire dans un cadre qui nourrit nous pas ce qui nous tue, mais ce qui nous fait vivre. Si vous faites un truc critique de l’État, faite le CONTRE lui, pas pour lui. C’est l’idée d’une contre-culture. Sur ce vive l’auto-production, nique la grande culture, bienveillante ou pas !

07/12/2024
Néo-Diogène

 

NB : je savais plus où le rajouter, mais oui, je consomme de la grosse culture aussi. Mais je remarque que ce qui m’a le plus touché, ce sont des films inspirés de faits réels, voir des fulls documentaires. Mais j’ai véritablement appris la contre-culture en faisant, pas en regardant, lisant ou analysant jsp quelle thèse. Bref, j’allais pas écrire un article sur la culture sans laisser des références, l’intérêt restant de FAIRE des choses, mais on a le droit à des pauses quand mêmes !

Documentaires :

Queercore (Yony Leyser)

Nous n’avons pas peur des ruines (Yannis Youlountas)

Crip Camp (Nicole Newnham et James LeBrecht)

Ni le centre, ni la périphérie (Apolline Anor)

Antifa, chasseurs de skins (Marc-Aurèle Vecchione)

Indianara (Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa)

L’Amour et la Révolution (Yannis Youlountas)

Films :

La Vague (Dennis Gansel)

Les 7 de Chicago (Aaron Sorkin)

Pride (Matthew Warchus)

Le Lorax (Chris Renaud et Kyle Balda)

Don’t Look Up (Adam McKay)

L’Île aux chiens (Wes Anderson)

Princesse Mononoké (Hayao Miyazaki)

Les Misérables (Ladj Ly)

Série :

L’Effondrement (Les Parasites)

Les Engagés (Sullivan Le Postec)

Nous la vague (Anca Miruna Lăzărescu et Mark Monheim )

Arcane (Christian Linke et Alex Yee)

Wayne (Shawn Simmons)

Roman :

Les Dépossédés (Ursula K. le Guin)

Le meilleur des mondes (Aldous Huxley)

La Faucheuse (Nel Shusterman)

Hommage à la Catalogne (George Orwell)

A la ligne (Joseph Ponthus)

En finir avec Eddy Bellegueule (Edouard Louis)

La désobéissance (Alberto Moravia)

Kafka sur le rivage (Haruki Murakami)

Musique :

Lettre à la république (Kery James)

When I grow up (NF)

Anarconnasse (Changeline)

Brasero (Krav Boca)

Cross the line (Dubioza Kolektiv)

Quasiment toutes les musiques de Joey Gluten