Mh. Peut-être je passe juste une mauvaise journée. Je suis mal réveillé·e. Après tout, j’ai pas vraiment dormi cette nuit, à peine 2-3h. Une insomnie de plus, à réfléchir trop, à vouloir écrire ou faire des choses dont je n’ai pas le temps la journée. J’ai pris la décision, aux environs de 5h du matin, que j’allais partir de Lille non pas après Mon master, mais à la fin de l’année scolaire. Dans 6 mois. Je partais pour vivre en communauté libertaire, un saut dans le vide dans le monde du capitalisme. C’était le plus simple de partir à ce moment là. J’ai réfléchi à tous les trucs qui me restaient à faire ici avant de partir. A qui allait me manquer, à ce que je ne pourrais plus faire. Mais aussi aux possibilités que j’aurais là-bas. Tous mes projets futurs, et j’en ai plein, ne se présageait plus à Lille, mais là-bas, loin dans le Sud de la France. J’ai réfléchi à la trace que je voulais laisser à Lille, à la fac. Je m’imaginais revenir la nuit, tracer à la bombe des A cerclés, imprimer des centaines de feuilles anti-fac. « Je vous emmerde » ça s’appelle. Ou interrompant un cours, faisant des laïus interminables sur notre rôle en tant qu’universitaire dans la société. Ptêtre pendant la remise de mon mémoire. J’avais encore du temps pour préparer ça. Ça allait être beau.
En vrai, ça veut rien dire « abandonner la fac ». C’est une phrase que je me suis dit y a à peine une heure. Rien ne m’empêche de laisser mon réveil demain matin, de me traîner dans le métro, de m’asseoir à ce cours d’anglais chiant et de faire comme s’il ne s’était rien passé aujourd’hui. Mais il faut croire qu’il ne sait pas rien passé. J’avais déjà fait beaucoup de truc le matin et le midi, rien à voir avec la fac. Je pensais au TDOR de ce soir. Les cours c’était une banalité à laquelle je m’imposait d’aller par habitude. Mon quotidien. Bref, je m’attendais à rien de fou. Je suis rentré en classe, en avance même. J’ai fait deux trois blagues à des potes histoire d’avoir un semblant de vie sociale. Ça allait, normalement. Puis le cours commence, je m’assoid, prêt·e à y prêter autant d’attention que d’habitude, c’est à dire aucune. Je passe mes cours à écrire des textes militants, à partager des rencards militants sur des groupes signal ou sur les réseaux sociaux. Tous mes cours, depuis 2 ans. Je me dit qu’à être bloqué·e à me faire chier, au moins je taffe sur mes trucs. Les autres font ça aussi, moins ouvertement peut-être. Je vois des pages Doctolib, des scans de manga, des séries, des shop de vêtement en ligne, des articles, des messages, des jeux sur leurs écrans. Du coup, je traine aussi. J’ouvre mes mails, ceux de la fac même. Ma directrice de mémoire m’avait répondu, au sujet de mon avancée sur le travail. J’avais une fois de plus critiqué la méthodologie de mort qu’on nous imposait. Elle faisait l’effort de répondre cordialement, mais cette partie m’a marqué :
« Par ailleurs, et je pense que c’est la dernière fois que je le rappellerai parce que j’ai le sentiment de me répéter : si vous êtes en désaccord fondamental avec les exercices et normes exigées, pour pratiquer la recherche en philosophie, je vous encourage à ne pas perdre votre temps d’avantage dans la poursuite de ce master. Donc soit vous êtes d’accord pour « jouer le jeu« , durant cette année, cad le jeu de la recherche selon les règles que nous allons vous proposer, et vous jugerez une fois votre mémoire rendu si ça en valait la peine ou pas ; soit s’il s’agit à chaque rendu de contester les normes et les règles, cela risque d’être éprouvant et stérile pour tout le monde.
Il faut un minimum de confiance pour se lancer dans l’apprentissage de la recherche. Si aucune confiance n’existe de votre côté, alors l’entreprise est vouée à l’échec. »
C’était la même chose que d’habitude. On avait déjà eu plein de fois cette discussion. Mais cette fois, j’étais ouvert·e à l’entendre. Ça m’a paru évident. Moi qui ne savait pas comment articuler tout ce qu’il me restait à faire, c’était la solution. Arrêter la fac. Je ne pouvais pas continuer à y perdre mon temps, il fallait agir. Alors j’ai remballé silencieusement mes affaires, je me suis levé sans un mot, et je suis parti·e. J’ai chialé un peu, pas longtemps, en sortant du campus. Moi qui m’avait imaginé partir dans un incendie ! Mais j’étais décidé. L’alternative à cette vie m’a décidé.
Elle avait raison. Faut que je lui dise. Je ne pouvais pas faire un travail à reculons. Je ne pouvais pas entrer dans un système auquel je suis hostile. Je me mentais à moi-même, par égo, par peur. Si j’ai continué jusque là, c’était pour me montrer que j’étais capable, que si je pars, c’est par choix, pas par incapacité. J’avais peur d’entrer dans le monde adulte, dans la précarité certaine de la lutte ouverte contre l’État. Mais ce n’était qu’un virage dans ma vie, apprendre à lâcher prise, à briser la relation toxique avec mon quotidien horripilant. Et avant que je ne commence à flipper, je remarque sur mon téléphone un message d’une personne rencontrée dans la communauté dans laquelle se profile la suite de ma vie, qui ne m’avait pas contacté depuis des mois. Je suis assez cartésien, je ne crois pas au destin. Mais le cerveau a une force énorme quand il s’agit de lier des coïncidences entre elles. Alors oui, j’abandonne la fac. Et le futur me tend les bras.
Néo-Diogène
20/11/2024