J’ai la grippe. J’avais raté le nouvel an à cause de ça. En vrai, tant mieux, j’avais rien de prévu. J’aime pas les fêtes. Bref, le médecin m’a donné une ordonnance pour des médocs. Des dolipranes, de la vitamine D et un sirop pour la gorge. Au début, il avait mis du Maxilase, mais je lui ai demandé de changer pour de l’Hélicidine. Qu’est-ce que c’est bon l’Hélicidine bordel. Et pis c’est remboursé par la sécu.
Donc je m’en vais à la pharmacie. Juste à côté, j’achète un tacos pour me récompenser d’être sorti et pour fêter ma guérison à venir. Je précise «sans sauce fromagère» 3 fois, pour être sûr. Je rentre bienheureux·se. Sur le chemin, je checke la boîte à livre où je laisse des fois de la propagande anarchiste. Il n’y en a plus, mais elle commence à être bien remplie ! Ca fait longtemps que je n’ai pas lu, et les écrans me donnent mal à la tête à cause de la fièvre. Je zieute ce qu’il y a là.
Je vois d’abord de superbes éditions des Animaux Fantastiques. Au moins, les prochains qui prendront ces livres ne donneront pas plus d’argent à la TERF d’Angleterre. Y a pas mal de trucs cools, que j’ai déjà lu ou avec des titres sympas. Mais rien de bien fulgurant. Il faut que je pousse une pile de manga pour que quelque chose attire mon attention. Le détail est que le titre sur la tranche est inscrit au feutre noir. Je le prends en main. Sur la couverture blanche toute simple, il est écrit « Épreuves non corrigées ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Une recherche internet m’apprendra plus tard qu’il s’agit d’un exemplaire gratuit d’un livre à paraître envoyé par une maison d’édition à des critiques, des libraires ou des influenceurs, ne pouvant être vendu. C’était d’autant plus intéressant. Voilà comment je suis tombé sur « Pardonne-moi, Leonard Peacock »
Je l’ai lu le soir même. Ou plutôt la nuit, lors d’une de mes insomnies. D’une traite. Et j’écris ce texte à la suite. Après avoir renvoyé un message de remerciement à mon ancienne professeure de français. Parce que ce livre m’a touché.
Il est du genre de ceux que me passait ma prof alors que j’allais au plus mal à la fin de mon lycée. Comme « Kafka sur le rivage » de Murakami, ou « La désobéissance » de Moravia. Avec comme point commun d’avoir un personnage central adolescent, isolé et pourtant intellectuel, en proie à commettre des actes anormaux. Ce que j’étais à l’époque.
On retrouve pleins de trucs. Moi je m’y retrouve en tout cas. Genre cette obsession perpétuelle du crime qui va être commis, et le peu d’importance que revêt tout le reste. Ou les comportements inquiétants sans arrière-pensée mauvaise, mais qui profitent tout de même d’autrui. Les questionnements débiles autour de l’homosexualité et le rejet d’être concerné de quelque façon que ce soit. La violence sexuelle des adultes sur les enfants, et celles entres les enfants.Même la fascination étrange et paradoxal pour le nazisme. Ça fait un moment que je réfléchis à écrire un truc là-dessus. Fut-un temps, j’ai gravé des croix gammés sur mes tables d’écoliers. C’est honteux à admettre, même si personne ne me l’a fait comprendre alors. Je pense que ma vie actuelle va bien assez à l’opposée de ça pour que ça ne m’inquiète plus. Mais dans la tête d’un enfant, cela prend de la place. Le nazisme, c’est impressionnant, c’est important. C’est une valeur que tout le monde connaît, qu’on nous rabâche sans cesse en cours d’histoire, oubliant ce qui a mené à son apparition, ce qui a permis sa mise en pratique, et ce qu’il en est encore aujourd’hui pour autant. Les nazis, c’est le mal ultime. Tout le monde le sait, nos cours confirment ce point Godwin. Alors forcément, ce qui se bat contre les nazis, c’est tous des gentils, pas de discussion possible là-dessus. Or, quand on est pas à sa place dans le système, quand on cherche à critiquer l’École, les structures, quand l’adolescence nous pousse à la remise en question et la rebellion, nos perspectives de choix sont limités. Certains attrapent tôt le marxisme, ceux qui ont des parents de gauche cultivés, des profs souvent. Pour les autres, ils ne peuvent que tendre le bras dans le vide. Un jour, il faudra parler d’à quel point le manichéisme que l’éducation nationale s’efforce de faire pour embellir la République finit par radicaliser à l’extrême-droite.
Mais surtout, on y revient, le nazisme, c’est un tabou. C’est ce qui choque en public. C’est ce qui fait marrer les potes. C’est ce qui nous crée notre lien entre jeunes, comme le racisme, le sexisme et l’homophobie. Parce que les adultes ont appris à se taire sur ce sujet. Combien d’adultes, outre ces intellectuels perdus dans leurs universités d’ivoire, réfléchissent au nazisme aujourd’hui ? Le sujet est vécu comme un conditionnement, auquel on adhère pour la Sainte République ou auquel on résiste pour la gloire du Fhürer. Cette vision limitée de l’Histoire, ça c’est la Cancel Culture. Pas celle des minorités, qui n’existe pas, mais celle bien réelle orchestrée par l’État. Il nous fait de la nuance, du débat, de la réflexion. Qu’on puisse dire que les nazis c’était horrible, mais que ptêtre balancer la bombe atomique c’était pas terrible non plus ? Que la police nationale apparu sous Vichy et qui aidé la déportation des Juifs est la même que celle qui réprime les manifestations aujourd’hui ? Que toutes les nations ont leurs part de responsabilité dans le conflit ? Que c’est le savant mélange du capitalisme, d’idées réactionnaires et nationalistes, et de structures autoritaires qui a permis la venue du fascisme ?
Bref j’ai chialé en lisant ce livre. Moi aussi, je ne suis pas allé jusqu’au bout. Je n’ai pas écrit de lettre du futur par contre, mais c’est une bonne idée. Et oui, on s’en sort après. L’enfance, l’adolescence surtout, est un stade d’aliénation puissant, qui détruit les plus fragiles d’entre nous. Mais nous pouvons gagner en autonomie, en liberté. Nous pouvons commencer à vivre, à un moment.
Underbed